La fin de la reconstitution et de la collection ?


Les Poilus de différentes associations posent pour l’hommage officiel au centenaire du premier engagement des chars français dans la Grande Guerre.  Présents à cette cérémonie, le Chef d’État-Major des Armées, le Général Pierre de Villiers, députés sénateurs, maire, préfet et de nombreuses autorités militaires. 
  



Émoi dans le monde de la reconstitution et de la collection. L’État, représenté par le Ministère de l'Intérieur, dans le souci de renforcer les dispositifs de contrôle de la détention et de la circulation des armes, a inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale un texte de loi en urgence (projet de loi N°530) fin 2017. Il s’agit de transposer un certain nombre de directives européennes dans la loi française. 



Ce projet de loi est particulièrement inquiétant pour les collectionneurs et reconstituteurs de toutes les époques ! 

Jusqu’en 2012, les armes sont classées en différentes catégories en fonction de leur dangerosité et de leur ancienneté. Ce classement est régi par la loi. Jusqu’alors, celles-ci étaient réparties en 8 catégories dont : 
  • - La 6ème catégorie regroupant les armes blanches 
  • - La 7ème catégorie regroupant les armes à air comprimé. 
  • - La 8ème catégorie regroupant les armes et munitions historiques et de collection. 
La détention des armes de ces catégories étant libre. 

En 2013, la loi évolue et classe ces armes en catégorie D dont la détention reste libre, mais sur certains cas soumise à enregistrement. Elle inclut les armes neutralisées selon les procédés réglementaires. 

Après le projet de Loi voté le 31 janvier 2018, la référence précise des armes de la catégorie D disparaît. Certaines armes neutralisées ou reproduction/répliques d’armes anciennes passent en catégorie C soumise à déclaration. Pour les autres, il est laissé à l’administration, sans contrôle du parlement, la libre appréciation de classer ou non une arme dans telle ou telle catégorie. Elle peut décider à tout moment de modifier le classement d’une arme et sa détention à titre libre. 

Les conséquences d’abandon de toute référence législative à la catégorie D pour laisser son libre-arbitre à l’administration sont nombreuses. Elle obère la possibilité d’acquérir, détenir ou transmettre son patrimoine. De nombreux collectionneurs ayant acquis leurs armes de façon tout à fait régulière dans le passé, se trouvent potentiellement hors-la-loi, détenant des armes devenues interdites. Il leur est impossible de les revendre ou les transmettre lors d’héritage. Elles peuvent être saisies et détruites sans compensation financière, si ce n’est une amende élevée pour détention illégale d’armes. La circulation des reconstitueurs pour se rendre sur des commémorations officielles devient, de facto, compliquée et risquée. 


(c) Le Poilu de la Marne
L’association "Le Poilu de la Marne", connue depuis des années pour animer les commémorations officielles, s’est vue interdite de présenter les armes pour la commémoration du combat des Eparges en avril 2017. Elle décide de présenter des balais afin de protester contre cette mesure préfectorale et sans réel fondement.
Un contrôle de police tatillon peut se transformer en cauchemar. Il y a eu plusieurs exemples récents, comme celui de cette association dans l’Aisne (Thiérache Histoire Vivante) qui s’est fait arrêter, fin 2017, par les services de douanes au retour de leur prestation lors d’une commémoration officielle à la demande et devant les autorités. Leurs armes ont été saisies et plusieurs perquisitions ont eu lieu. Le président de l’association écopant d’une garde à vue prolongée. 

Pour beaucoup, c’est la fin programmée des reconstitutions historiques et commémorations. Cette loi, en l’état, ne permettrait plus à un évènement comme le Festival Historia de présenter des chevaliers ou gladiateurs avec leurs épées ou glaives ou encore des soldats ou véhicules blindés des deux conflits mondiaux. Elle ne permettra plus aux associations de reconstitution de présenter dans les écoles leur matériel ou encore de contribuer aux nombreux documentaires historiques. Ce sont donc de nombreuses activités mémorielles, pédagogiques et culturelles qui disparaîtront. 


(c) Christian Duchemin
Démonstration de tirs d’artillerie, à blanc, devant le public et le préfet de l’Aisne pour le centenaire des combats du Chemin des Dames au fort de la Malmaison.

La présentation en urgence de ce projet de loi et son vote a fédéré l’ensemble des fédérations de collectionneurs : La FFVE (Fédération Française des Véhicules d’Époque), la FF MVCG (Fédération Française des Groupes de Conservation de Véhicules Militaires), l’UFA (Union Française des Amateurs d’Armes), la F.P.V.A. (Fédération des Collectionneurs du Patrimoine Militaire) s’unissent pour faire front commun. De même, les associations de reconstitution, les organisateurs de manifestations officielles ou culturelles : A.P.H.V (Association pour l’Histoire Vivante), H-Events, le Festival Historia, Les Heures Historiques de Sully, Collectif France 40, C.A.P.A. et de nombreuses autres réagissent; une mobilisation, jamais connue, sur les réseaux sociaux monte en flèche. Une page Facebook (Sauvons la Reconstitution Historique) est créée et regroupe rapidement près de trois mille reconstitueurs… 

Plusieurs milliers de courriers et courriels sont envoyés aux députés et sénateurs, et divers élus. Cette mobilisation finit par porter partiellement ses fruits. Plusieurs députés et sénateurs, conscients des enjeux montent au créneau et défendent le dossier face à monsieur Christophe Euzet, Rapporteur du projet de loi et madame Jacqueline Gourault, Ministre auprès du Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur. 

La commission mixte-paritaire, composée de députés et sénateurs, sous l’impulsion du sénateur du Tarn, monsieur Philippe Bonnecarrière a su trouver un compromis, en rétablissant les références législatives à la catégorie D. Les armes et matériels historiques et de collection sont de nouveau nommément intégrés à cette catégorie. Les armes neutralisées, par contre, intègrent la catégorie C (armes soumises à déclaration). 

La communauté reste vigilante sur la rédaction des prochains décrets. Il reste à mettre en place la « carte du collectionneur » qui permettra à ceux-ci de détenir et déclarer une arme neutralisée. Cette carte, attendue depuis 2012, devrait, peut-être, entrer en vigueur à partir de 14 septembre 2018 et constituerait alors un titre légitime de transport d’armes. D’ici là, la plus grande vigilance est demandée par les différentes fédérations lors des déplacements et défilés. 


Par Pierre-François Boselli