Festival Historia. L'Histoire et la BD, entretien avec Benjamin Stora
HISTORIA - Quel est votre rapport à la bande dessinée ? Êtes-vous lecteur ?
BENJAMIN STORA - Pour être honnête, j'ai lu Tintin , Spirou ou Lucky Luke , comme tous les gamins de mon âge. Mais j'ai très tôt adoré Blek le Roc , Battler Britton , Akim ou Kit Carson . Je les dévorais pendant mon enfance à Constantine, en Algérie. Après notre arrivée en métropole, je me suis tourné vers Pif et Rahan ,
après un bref passage à la Jeunesse communiste. Par la suite, à 20 ans,
la bande dessinée m'est apparue comme un art mineur. J'avais des envies
de romans et d'essais. J'y suis revenu dans les années 1990, quand on
m'a proposé de faire la préface d' Azrayen' (de Frank Giroud
et Lax). J'ai trouvé qu'elle avait bien changé. J'étais stupéfait par la
qualité du dessin et par l'inventivité de la narration.
Comment est né ce livre avec Sébastien Vassant ?
Les éditions du Seuil avaient un projet de bande dessinée autour de
la guerre d'Algérie, et on m'a proposé d'en faire le scénario. J'ai
accepté en pensant que c'était facile ! Je me suis trompé. C'est un
autre langage que d'évoquer l'ensemble du conflit en 200 pages. J'ai
voulu faire les choses simplement, par séquences et dans l'ordre
chronologique. Mais, même s'il y a une démarche documentaire, il s'agit
d'une fiction. Les dialogues, par exemple, sont inventés. C'est la
raison pour laquelle nous avons aussi inséré de vrais témoignages. J'ai
aussi dû apprendre à m'effacer devant Sébastien, qui est un dessinateur
extraordinaire, pour laisser la place à son imagination.
L'expérience accumulée en écrivant des documentaires vous a-t-elle aidé ?
Depuis Les Années algériennes (1991), réalisées avec
Bernard Favre, j'ai effectivement un certain savoir-faire dans la mise
en scène d'une histoire en images. Dans un documentaire comme dans une
BD, il faut être très précis, ne pas se disperser. C'est une écriture
très exigeante en termes de rythme. J'ai aussi été conseiller historique
de plusieurs fictions, notamment Les Hommes libres , d'Ismaël Ferroukhi.
Avez-vous fourni la documentation iconographique à Sébastien Vassant ?
Il a pu allègrement se servir dans ma bibliothèque, car j'ai
naturellement accumulé une grande quantité de livres sur l'Algérie. Je
lui ai aussi confié une collection de photos, qu'il a complétée.
Quel est l'objectif de cette bande dessinée ?
S'adresser au plus grand nombre. Elle a clairement une vocation
pédagogique, notamment dans sa volonté d'aborder tous les aspects du
conflit. Il faut montrer que la décolonisation était une évidence, sans
occulter le drame vécu par les pieds-noirs et les harkis, ou encore la
vie quotidienne des immigrés algériens en métropole. Je crois que le
grand défi qui reste à relever pour les intellectuels est celui des
images. On ne peut pas écrire sans vouloir transmettre ; et aujourd'hui,
cela passe en majeure partie par les images, c'est un fait. Il ne faut
surtout pas s'enfermer dans une tour d'ivoire académique.
Comment réagissent vos confrères historiens ?
Je dois dire que j'ai été surpris par l'accueil chaleureux qu'ils ont
réservé à l'album. Il n'y a eu aucune réaction hostile, y compris sur
le principe de faire une bande dessinée. Par contre, l'absence de
critiques dans la presse française m'a étonné. À croire que la BD n'est
pas encore totalement prise au sérieux.
* Historien, professeur des universités, président du musée de
l'Immigration, auteur de nombreux ouvrages sur le Maghreb, Benjamin
Stora ne s'était jamais frotté au neuvième art, jusqu'à la publication
récente, aux côtés de Sébastien Vassant, d' Histoire dessinée de la guerre d'Algérie (Seuil). Selon lui, ce médium, qui mêle texte et images, est un outil pédagogique idéal.
La recette du succès du scénariste Jean-Yves Delitte
Le scénariste et dessinateur Jean-Yves Delitte s'est imposé dans
la bande dessinée historique en mettant en scène des voiliers
légendaires, comme L'Hermione ou le Belem . Salué
pour sa minutie et sa précision, il a même été nommé peintre officiel de
la Marine. Un titre prestigieux qui n'a rien changé à la façon de
travailler de ce stakhanoviste de la planche, qui vient de lancer une
collection sur les grandes batailles navales. Les trois premiers tomes
(Glénat) se penchent sur les confrontations de Chesapeake, de Trafalgar
et du Jutland. Neuf autres sont déjà en chantier. Avec ce même souci du
détail. « La source la plus fiable reste la littérature spécialisée.
J'ai beaucoup de livres, mais je passe aussi énormément de temps en
bibliothèques ou aux archives, par exemple au musée de la Marine,
explique-t-il. Si on veut faire quelque chose de sérieux, une recherche
sur Internet ne suffit pas. » Les témoignages contemporains sont bien
sûr précieux, même si, « jusqu'à l'invention de l'imprimerie, il ne
subsiste que peu de documentation de qualité. Il ne faut, par exemple,
pas prendre les récits antiques au pied de la lettre, les chroniqueurs
vantant en général les mérites du camp qu'ils servent ». Pour les
périodes postérieures, livres, gravures, peintures et maquettes
permettent, avec un peu de persévérance, de reconstituer des décors, des
ambiances et des dialogues « plausibles ». « J'éprouve un vrai plaisir à
aller dans le détail. J'aime passer des heures à chercher à quoi
ressemble le bouton d'une veste ou une poulie. Même si je sais qu'un
certain nombre de détails disparaissent une fois intégrés dans une
petite case de bande dessinée. » P. P.